Fleur du temps est une série de photographies ultra-macro grand format de pigment de vert-de-gris que Roch-Cuerrier cultive dans son atelier. Au fil des ans, elle a développé une fascination pour le processus d’oxydation du bronze sous la forme de vert-de-gris. De nature instable, la couleur du vert-de-gris évolue avec le temps et en réponse à son environnement. Dans sa pratique, sa teinte distinctive est devenue symbole d’une temporalité cyclique associée à plusieurs expérimentations évolutives.
Les cristaux ont été formés à l’aide d’un processus appelé “Highly Accelerated Life Testing”. HALT est un processus de test d’un matériau, durant lequel on le soumet à des conditions au-delà de son environnement typique. En analysant la réponse du matériau à de tels tests, on peut faire des prédictions sur son processus de vieillissement. À travers ce processus, l’artiste vise à observer et à documenter une temporalité accélérée.
À travers cette lentille de microscope, un univers singulier se révèle. D’étranges cristaux apparaissent, ressemblant à des fleurs exotiques. Roch-Cuerrier réfère à ces formes cristallines, qui semblent appartenir à une réalité autre, comme à des « fleurs du temps »: une allusion à la nouvelle de science-fiction de l’écrivain anglais J.G. Ballard, Le jardin du temps. L’auteur y imagine des fleurs au pouvoir singulier: celui d’arrêter momentanément le passage du temps. Dans ses projets récents, Roch-Cuerrier tente de définir et de traduire visuellement cette notion.
Ces fleurs mesuraient près de deux mètres; leurs tiges élancées, semblables à des baguettes de verre, portaient une douzaine de feuilles jadis transparentes, à présent givrées par leurs veines fossilisées. À l’extrémité de chaque tige s’épanouissait une fleur du temps, de la taille d’un gobelet, aux pétales extérieurs opaques refermés sur le cœur de cristal. Leur éclat adamantin miroitait sur mille facettes, le cristal semblait drainer l’air de sa lumière et de son mouvement. Les fleurs se balançaient légèrement dans la brume du soir, elles luisaient comme des épieux couronnés de flammes. Le jardin du temps, J.G. Ballard, 1962.
Imaginées comme des rencontres contemplatives, ces œuvres visent à engager le public dans une expérience singulière qui évoque l’idée d’un univers alternatif dans lequel la vie et la matière évoluent à leur propre rythme. Le néomatérialisme est une idéologie qui, depuis longtemps, s’inscrit instinctivement dans la démarche de Roch-Cuerrier. Ce qui résonne pour elle dans la pensée néo-matérialiste, c’est ce désir de prendre conscience de la vie dans son entièreté. Il est admis que certaines choses ne sont peut-être pas visiblement discernables, mais cela ne signifie pas qu’elles sont intangibles.
JULIE ROCH-CUERRIER 